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Rapports du G7 et G20 sur les stablecoins : Quels enseignements et quelles opportunités pour les acteurs ?

Le 18 octobre 2019, le G7[1] et le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board ou FSB)[2] ont respectivement publié leurs premières analyses concernant les impacts des projets de lancement à grande échelle de jetons numériques à valeur relativement stable ou « stablecoins »[3]. L’intérêt porté à ces nouveaux instruments démontre que les instances internationales reconnaissent leur existence et souhaitent anticiper leur développement en dehors de tout cadre réglementaire adapté.

Les premières conclusions des rapports du G7 et du FSB sont claires : eu égard aux risques potentiels que des projets innovants visant à faciliter les paiements internationaux font peser sur la politique monétaire, la stabilité financière et l’intégrité des marchés, ces initiatives ne pourront se développer qu’à la condition qu’elles se conforment strictement à l’ensemble des règles et standards internationaux qui leur sont applicables.

Sont notamment visés les standards en matière de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme (AML-FT), mais pas seulement. Le G7 insiste notamment sur le respect (i) des standards en matière de résilience opérationnelle et de cyber-sécurité ; (ii) des règles assurant la protection des données ; et (iii) de celles relatives à la protection des consommateurs et des investisseurs. Le rapport du FSB, quant à lui, annonce de futurs travaux visant à faciliter l’émergence d’approches réglementaires et de supervision adaptées à ces projets d’envergure globale.

 

 

« We agree that no global stablecoin project should begin operation until the legal, regulatory and oversight challenges and risks are adequately addressed, through appropriate designs and by adhering to regulation that is clear and proportionate to the risks. Beyond regulation, the preservation of public prerogatives or core elements of monetary sovereignty will have to be taken into account« . [4]

Rappel des éléments de contexte : des travaux portés par les banques centrales et les ministères des finances des pays du G7 et du G20
  • Faisant suite à l’annonce du projet LIBRA, le G7, sous présidence française, a initié à l’été 2019 un groupe de travail ad hoc sur les stablecoins placé sous la présidence de Benoit Coeuré (membre du directoire de la BCE). Ce groupe avait une double mission. La première consistait à analyser les risques inhérents à ce type de projets qui, du fait de leur nature globale, portaient en germes des risques systémiques ; et la seconde, à identifier les éventuelles lacunes en matière de réglementation et de supervision afin, notamment, de limiter les possibilités d’arbitrage réglementaire. Le rapport, publié le 18 octobre dernier, a été présenté lors des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale d’octobre 2019 et a été précédé d’une déclaration officielle des dirigeants du G7.
  • En parallèle, le FSB (et le G20, dont il est une émanation) s’est également emparé du sujet à l’été 2019 eu égard à ses potentiels impacts sur le fonctionnement actuel du système financier international. A l’occasion du Sommet d’Osaka (juin 2019), les dirigeants du G20 ont en effet encouragé le FSB, en lien avec les normalisateurs internationaux compétents (et notamment le GAFI[5), à poursuivre ses investigations[6]. Le rapport d’étape d’octobre 2019 annonce la conduite d’un état des lieux des différentes approches réglementaires et de supervision nationales afin (i) d’identifier des écarts et/ou des lacunes dans les approches nationales et (ii) de travailler à la mise au point de possibles solutions multilatérales.

 

Principaux risques identifiés par le G7
  • Le rapport du G7 confirme les réticences des banques centrales et des gouvernements vis-à-vis d’initiatives privées visant à faciliter des paiements opérés de manière transfrontière. Ces réticences se justifient (i) par l’ampleur de certains projets et (ii) par les risques dont ils sont porteurs.
  • Le rapport du G7 vise en effet les projets de « global stablecoins » ; c’est-à-dire les projets de stablecoins de nature à faire l’objet d’une adoption rapide et massive du fait de la préexistence d’une base de consommateurs acquis (c’est précisément le cas LIBRA). Ces global stablecoins, du fait de leur portée globale, font potentiellement peser un risque sur la stabilité du système financier international. Parce qu’ils ont l’ambition de constituer une réserve de valeur et d’être utilisés comme un moyen d’échange international, ils pourraient également agir comme substitut aux monnaies traditionnelles et de ce fait constituer un danger pour la souveraineté des politiques monétaires.
  • Le rapport insiste également sur les préoccupations que soulèvent ces projets en matière de respect des règles de concurrence et anti-trust. Le rapport appelle à une vigilance accrue de la part des autorités de supervision à l’égard de pratiques anti-concurrentielles, des abus de position dominante, des phénomènes de concentration de marché (notamment du fait de l’effet de réseau ou du recours à des systèmes propriétaires) ou de l’émergence d’oligopoles ou de monopoles.

 

Points de vigilance pour les acteurs en lien avec le rapport du G7
  • Une qualification juridique claire : un prérequis indispensable au lancement de projet de stablecoins

 

Le G7 rappelle que tout projet de stablecoin (indépendamment de sa taille) doit reposer sur une base juridique certaine et robuste.

« A stablecoin must be underpinned by clear legal terms that define and govern, with certainty and predictability, material aspects of how the underlying technical arrangements are utilised by parties ».[7]

 

  • Un dispositif de gouvernance robuste

 

Le G7 rappelle que tout projet de stablecoin doit également s’accompagner de la mise en place d’un dispositif de gouvernance solide de nature à garantir la sécurité et l’efficience des paiements ou l’exécution des services associés au stablecoin.

« Sound and efficient governance promotes the safety and efficiency of payments and related services. The governance structure of the arrangement must also be clearly defined and conveyed to all ecosystem participants ».[8] 

  • L’applicabilité des standards internationaux en matière de LAB-FT

 

 

Le G7 rappelle que les autorités de supervision sont tenues d’appliquer aux projets de stablecoin et à aux porteurs de projets, les standards internationaux du GAFI applicables aux « virtual assets ».

« […] providers of stablecoins and other entities that are part of a stablecoin ecosystem should comply with the highest international standards for AML/CFT and countering the financing of the proliferation of weapons of mass destruction ».[9]

 

  • L’applicabilité des standards internationaux assurant la sécurité, l’efficacité et l’intégrité des services de paiement

 

Le G7 indique que les stablecoins, sous réserve qu’ils visent effectivement à faciliter des activités de paiements, doivent se conformer aux standards internationaux en la matière.

« Stablecoin arrangements are expected to meet the same criteria and abide by the same requirements as traditional payment systems, payment schemes or providers of payment services (ie same activities, same risks, same regulations). Innovation should support interoperability and seek to mitigate systemic interdependencies ».[10]

 

  • La nécessaire mise en place de dispositifs assurant la résilience opérationnelle et la cyber-sécurité des projets de stablecoins

 

Le rapport du G7 indique que les autorités publiques de supervision exigeront la mise en place de procédures et de contrôles adaptés assurant la résilience et la cyber-sécurité des projets de stablecoins.

« Stablecoins may be subject to laws, regulations and guidance, and may also fall within the scope of international standards on operational risk ».[11]

 

  • Le respect des règles applicables en matière de protection des données

 

En particulier, le G7 met l’accent sur la nécessité de garantir la protection des données personnelles dans le cadre de projet de stablecoins et de s’assurer de la protection des droits des consommateurs (ex. droit de rétractation et droit à l’oubli).

  • « Authorities will apply appropriate data privacy and protection rules to stablecoin operators, including how data will be used by the participants in the ecosystem and shared between the participants and/or with third parties ». [12]

 

Prochaines étapes pour les acteurs: un moment unique pour échanger avec les instances de régulation et formuler des propositions

FSB – Travaux d’état des lieux des approches réglementaires nationales en vue de l’élaboration de possibles recommandations (ex. solutions multilatérales).

> Dans ce contexte, le FSB consultera les parties prenantes (table rondes, interviews, etc.).

 

Normalisateurs internationaux (Comité de Bâle, CPMI[13]  et OICV[14]) – Travaux en cours (i) d’adaptation des standards existants et (ii) de rédaction de nouveaux standards.

> Fenêtre d’opportunité pour présenter des projets de stablecoins en cours, les objectifs recherchés et les implications réglementaires associées.

 

Au niveau national – Privilégier un dialogue constructif avec les superviseurs et le gouvernement

> Promouvoir auprès des pouvoirs publics des projets solides de stablecoins de nature à positionner la France comme une juridiction pionnière en Europe.

> Alimenter les pouvoirs publics sur les évolutions réglementaires nécessaires pour le développement viable et pérenne de projets innovants de stablecoins, tout en préservant la stabilité du système financier et la protection des consommateurs.

 

Au niveau national – Réflexions en cours sur le développement de monnaies centrales digitales

> Contribuer aux réflexions en cours sur la mise en place de projets de monnaies centrales digitales (ex. logiques de coopération entre les institutions publiques et le secteur privé).

 

 

[1] G7 Working Group on stable coins, « Investigating the impact of global stablecoins », octobre 2019.

[2]           FSB, « Regulatory issues of stablecoins », octobre 2019.

[3]           Extrait du rapport du FSB, « A stablecoin can be defined as a crypto-asset designed to maintain a stable value relative to another asset (typically a unit of currency or commodity) or a basket of assets. These may be collateralised by fiat currency or commodities, or supported by algorithms. The term is used to describe a particular set of crypto-assets with certain design characteristics or stated objectives, but the use of this term should not be construed as any endorsement or legal guarantee of the value or stability of these tokens » p.1.

[4] Official statement on stablecoins by G7 heads, 17 October 2019.

[5] Groupe d’action financière.

[6] Extrait de la Déclaration du G20, Sommet d’Osaka (juin 2019) : « While crypto-assets do not pose a threat to global financial stability at this point, we are closely monitoring developments and remain vigilant to existing and emerging risks. We welcome on-going work by the Financial Stability Board (FSB) and other standard setting bodies and ask them to advise on additional multilateral responses as needed ».

[7] Rapport du G7, p.5.

[8] Ibid. p.6.

[9] Ibid. p.6.

[10] Ibid. p.8.

[11] Ibid. p.8.

[12] Ibid. p.10.

[13] Committee on Payments and Market Infrastructures (CPMI).

[14] Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV).